Patrimoine mobilier

En 2014, le Grand Conseil vaudois a ratifié la Loi sur le patrimoine mobilier et immatériel.
Constituant les collections des musées cantonaux, le patrimoine mobilier appartenant à l’État, est de facto déjà protégé. Cette loi s’attache donc au patrimoine mobilier qui n’appartient pas au Canton de Vaud, mais aux Communes, paroisses, associations et fondations ou à des propriétaires privés. Elle permet d’inscrire les objets historiques importants dans un inventaire cantonal. Une fois qu’un bien a été inscrit, son propriétaire peut demander des conseils ou des subventions pour favoriser sa bonne conservation. En cas de vente, le Canton a la possibilité de racheter les biens inscrits de manière prioritaire et selon les prix du marché.

Identifier les objets à inscrire, les documenter et conseiller aux propriétaires les gestes les plus utiles à la sauvegarde de ces biens est un travail de longue haleine. A fin 2020, plus de mille biens ont été inscrits et un important travail de sensibilisation a été mené auprès des propriétaires.

Statues, tableaux, vaisselle en porcelaine, coupes de communion en argent, plats et semaises en étain, drapeaux en soie de l’Indépendance vaudoise, canons, uniformes, bâtons de justice… Voilà le patrimoine mobilier. Un patrimoine conservé aussi bien dans des musées qu’en dehors, auquel cas, il est souvent mis en (re)présentation dans un bâtiment communal ou une salle paroissiale et parfois même encore en usage dans les églises. Quand ils sont hors des musées, ce sont des biens difficiles à protéger : propriétés privées, mobiles, souvent de petite taille, ils sont faciles à déplacer, voire à voler.

Une anecdote illustrera cela : une commune vaudoise possédait un bâton de justice du XVIIIe siècle. Une belle pièce devenue rare : pommeau gravé en argent, canne en bois sculpté. Contacté, le bureau municipal en ignore tout, mais demande à l’archiviste communal de se mettre à sa recherche. Quelque temps plus tard – heureux dénouement qui n’arrive pas toujours –, le bâton de justice est retrouvé : pensant bien faire, une bonne âme l’avait rangé dans le râtelier des fusils. Longueur similaire, presque égale minceur… l’endroit était tout trouvé et – pour être honnête – pas si mal choisi.

Entre œuvre d’art et bien patrimonial

A quel moment a-t-on commencé à se préoccuper de préserver des objets historiques ? De quelle manière cette protection s’est-elle mise en place ? Comment se sont répartis les gestes privés et les actions étatiques ? Cette histoire est longue et inégale. Les princes y ont évidemment joué un rôle important, conservant souvent ces objets non pour l’histoire qu’ils permettaient de documenter mais comme des œuvres d’art, sorties de leur contexte, signifiantes par elles-mêmes. C’est le cas de nombreuses statues antiques comme de vases décorés, entrés dans des collections privées à la Renaissance, mais dont on ne connaît ni le lieu ni le contexte de la découverte.

A partir du milieu du XVIIIe siècle, temps où l’on s’est passionné pour les fouilles archéologiques d’Herculanum, de Pompéi ou de Paestum, les objets étaient conservés en fonction de leur intégrité et de leur beauté. A quel moment a-t-on commencé à regarder ces biens comme des documents historiques au même titre qu’un manuscrit ou un acte juridique ? A comprendre qu’un objet historique pouvait quitter le domaine de la seule délectation esthétique pour entrer dans celui du savoir archéologique et historique ? Puis glisser du statut de bien historique à celui de bien patrimonial ?

Protéger le patrimoine mobilier

Les collections privées souvent ont été les premiers lieux de conservation des objets jugés dignes d’être conservés et préservés. Quand elles ont été ouvertes au public, certaines de ces collections sont devenues des embryons de musées. Ce n’est qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle et surtout au XIXe, qu’on voit naître en Europe les musées publics. Dans le canton de Vaud, cette histoire est aujourd’hui connue. En 1818 à Lausanne et en 1824 à Avenches, les premiers musées cantonaux voient le jour. Mais autour d’eux – et parfois même avant eux – ont gravité des institutions privées ou communales qui ont aussi joué un indéniable rôle de conservation. Le premier musée du canton voit ainsi le jour en 1764 à Yverdon, puis se créent des musées de ville : à Nyon en 1860, Payerne en 1870, Sainte-Croix en 1872, Vevey en 1897, Lausanne en 1898, Montreux en 1899, Moudon en 1910.

Tous bénéficient des réflexions menées par différentes sociétés savantes, souvent héritières de sociétés d’Ancien Régime et du travail de plus en plus sérieux mené par les anciens « antiquaires » devenus archéologues et historiens. Un savoir et des savoir-faire se mettent peu à peu en place, qui permettent d’avoir un meilleur accès à la connaissance du passé. Les procédures et techniques d’inventorisation, de conservation et de restauration que l’on applique aujourd’hui dans les musées sont les témoins de cette longue histoire.

Cadre légal vaudois

En 1898, le Canton de Vaud a été le premier canton en Suisse à se doter d’une loi destinée à protéger les monuments ainsi que les sites et les trouvailles archéologiques, la loi sur « la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique », et à créer un poste d’archéologue cantonal. En 2014, le Grand Conseil vaudois a ratifié une autre loi pionnière en Suisse : la Loi sur le patrimoine mobilier et immatériel.

Constituant les collections des musées cantonaux, le patrimoine mobilier appartenant à l’État, est aujourd’hui de facto protégé. Cette loi s’attache ainsi au patrimoine mobilier qui n’appartient pas au Canton de Vaud, mais aux Communes, paroisses, associations et fondations ou à des propriétaires privés. Elle permet d’inscrire les objets historiques importants dans un inventaire cantonal. Une fois qu’un bien a été inscrit, son propriétaire peut demander des conseils ou des subventions pour favoriser sa bonne conservation. Et, en cas de vente, le Canton a la possibilité de racheter les biens inscrits de manière prioritaire, selon les prix du marché.

Identifier les objets à inscrire, les documenter et conseiller aux propriétaires les gestes les plus utiles à la sauvegarde de ces biens est un travail de longue haleine. A fin 2020, plus de mille biens étaient inscrits dans l’inventaire cantonal et un important travail de sensibilisation avait été mené auprès des propriétaires.

Mobilier mobile et mobilier fixe

Définir le patrimoine mobilier semble facile ; mais le diable se cache bien sûr dans les détails. Si un coffre est sans conteste un bien mobilier, que dire des poêles en faïence, si fréquents en terres vaudoises ? Ou des vitraux d’église, des cloches, des chaires, des stalles, des cheminées en marbre, des boiseries, d’un papier peint ancien ? Est-ce du patrimoine mobilier ou immobilier ? Reconnus comme indéniablement patrimoniaux, ces biens sont-ils protégés aujourd’hui dans le canton de Vaud par la Loi sur la protection de la nature, des monuments et des sites ou par la Loi sur le patrimoine mobilier et immatériel ? La réflexion engagée a conduit à la décision suivante : quand l’objet est en place et en fonction, il est bien immobilier, quand il est déplacé et sorti de sa fonction première (présenté dans la vitrine d’un musée, par exemple), il est bien mobilier. Le premier type d’objets sera donc pris en charge par la loi du patrimoine bâti et par les services de la DGIP ; le second par la Loi sur le patrimoine mobilier et immatériel et les services du DFJC.

Patrimonialiser ou ne pas patrimonialiser

Le patrimoine est créé par le regard qu’on lui porte. Si ce plat en étain du XVIIIe siècle n’est qu’une assiette semblable à quantité d’autres où couper le pain du culte, ce n’est qu’un objet utilitaire. Quand on lui restitue une histoire, une matérialité qui souligne sa valeur – il porte le poinçon des orfèvres lausannois Papus et Dautun (v. 1760-1793) –, qu’advient-il de lui ? Si on ne peut assurer qu’il entre alors dans l’Histoire, on peut certifier qu’il change de statut : l’information historique le transforme aux yeux de qui la connaît. Sans doute arrêtera-t-on de l’utiliser comme planche à pain, mais peut-être continuera-t-on à y servir de pain du culte.

Les sociétés occidentales actuelles ont la patrimonialisation facile : ayant pris conscience que les biens du passé sont inexorablement perdus si on n’en prend pas soin, mesurant le passage du temps et des choses irrémédiablement perdues, notre réflexe est de préserver, souvent à tout prix. Une politique d’acquisition claire dans les musées, des critères déterminés à l’avance pour les collections sont essentiels pour savoir que conserver.

Patrimonialiser un bien, c’est aussi, outre le fait de lui accorder un supplément de valeur en lui rendant une part de son histoire, le faire changer d’état ; il passe en effet alors du statut de bien privé à celui de bien commun. Un bien commun qui n’est pas synonyme de « bien public », mais implique que de nombreuses personnes doivent pouvoir en profiter, au moins par la vue. Action du présent sur des objets du passé, la patrimonialisation est un geste fort qui nécessite réflexion et que l’on réalise pour nos enfants. Car, si on ne reçoit pas la terre de nos parents mais qu’on l’emprunte à nos enfants, ils auront aussi la charge de tous les biens que l’on aura patrimonialisés aujourd’hui.

Ariane Devanthéry, historienne de la culture

Bibliographie 

Nathalie Heinich, La fabrique du patrimoine, de la cathédrale à la petite cuillère, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2009.

Claire Huguenin, Patrimoine en stock. Les collections de Chillon, Document du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire, Lausanne, 2010.

Lionel Pernet (dir.) Révéler les invisibles : collections du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire de Lausanne, 1852-2015, Gollion, Infolio, 2017.

Daniel Roche, Histoire des choses banales, naissance de la consommation dans les sociétés traditionnelles (XVIIe-XIXe siècle), Paris, Fayard, 1997.

Jakob Wyss, Coupes de communion, 1563-1564, Musée du Vieux-Moudon.