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Jean-Jacques LANGENDORF, Warnery. Un hussard vaudois, Gollion : Infolio, 2019, 64 p. (Ami-Jacques Rapin)
Charles Emmanuel de Warnery est né la même année (1720) que le baron de Münchhausen avec lequel il partage quelques autres points communs. Tous deux combattirent sous des couleurs étrangères, le premier principalement au service de Prusse, le second au service de Russie ; tous deux commandèrent un corps de hussards, quoique ce ne fût qu’épisodiquement pour Münchhausen ; tous deux avaient une propension à broder, même s’il est vrai que le Vaudois resta bien en deçà des affabulations de son illustre contemporain. Le récit que Warnery livra de la prise de la forteresse de Stolpen, en Saxe, au début du mois de septembre 1756, en offre une excellente illustration. Il suffit d’en citer la fin pour en saisir l’esprit : « Je fis prisonnier un Général-Major, un Colonel, un officier d’artillerie, un du second régiment du cercle, 42 soldats du même, huit canonniers et 24 invalides. Je crois que l’histoire ne fournit guère de pareil exemple […]. » Quoi de si exceptionnel à cet acte « héroïque » ? A l’en croire, Warnery prit la forteresse à lui seul, ou presque. Jean-Jacques Langendorf a su exploiter habilement l’anecdote, à la fois pour camper le personnage et pour introduire les controverses historiographiques suscitées par son histoire de la guerre de Sept Ans (Campagnes de Frédéric II…, publiées en 1788). Le natif de Morges fut, en effet, non seulement un sabreur, quelque peu hâbleur, mais aussi l’un des écrivains militaires les plus féconds du XVIIIe siècle. Si ses ouvrages purement historiques ne sont certes pas à l’abri de la critique, ses réflexions sur la tactique, en particulier de la cavalerie, et l’art de la guerre ne sont pas à négliger. Figure oubliée de l’histoire nationale, tout comme de l’histoire militaire, Warnery méritait ce petit volume qui répond parfaitement à l’objectif de la collection « Presto » des éditions Infolio : offrir une synthèse efficace sur des personnages, illustres ou méconnus, de l’histoire suisse. Richement illustré, concis tout en renseignant amplement sur la vie du personnage, son œuvre et l’impact de celle-ci, le texte bénéficie de la plume de Langendorf qui a manifestement apprécié celui qu’il définit comme un « sabreur-écrivain et mauvais esprit ». La première partie de cette qualification, que l’auteur avait déjà utilisée dans l’intitulé d’une contribution de 2016 partiellement consacrée à Warnery (dans Les Vaudois et leurs armées, Pully : CHPM, 2016, dirigé par Nicolas Gex), ne nécessite pas d’explication. Mais pourquoi « mauvais esprit » ? Langendorf utilise d’autres adjectifs pour caractériser l’esprit du Morgien, qui est aussi « éclairé » que « libre » ; il cite également les mots de Carl von Seidl, écrivain militaire prussien, qui avait relevé « l’esprit naturellement caustique et frondeur » du personnage. Mais ce n’est qu’en fin de volume qu’il énonce l’argument décisif livrant le fond de sa pensée : l’esprit de Warnery était proche de celui du prince de Ligne, ce dernier ayant trouvé en le premier, non seulement un « frère militaire », mais un « frère intellectuel ». Deux citations du prince de Ligne appuient l’argument, sans toutefois dévoiler le propos des Commentaires [de Warnery] sur les Commentaires du Comte de Turpin sur Montecuculi (publiés en 1777)qui avait suscité l’enthousiasme de l’auteur des Contes immoraux. Le procédé est adroit, puisqu’il pique la curiosité du lecteur et l’incite à ouvrir les Commentaires (aux pages 19 et 26-27) pour partager cet enthousiasme. Il implique aussi que cette excellente esquisse biographique n’a pas épuisé le sujet et nous laisse espérer qu’une monographie sur Warnery, qui reste à rédiger, soit en chantier dans le cabinet de Langendorf.
Ami-Jacques Rapin