CR3 Caroline BRUNETTI – Les structures du site du Mormont

Caroline BRUNETTI (dir.), avec la collab. de Patrice MÉNIEL et Claudia NIŢU, Mormont I : Les structures du site du Mormont (Eclépens et La Sarraz, canton de Vaud), Fouilles 2006-2011. Tome 1 : description des structures,  Lausanne :  Cahiers d’archéologie romande 2019, 304 p., (CAR 177, série Mormont ).

Caroline BRUNETTI (dir.), avec la collab. de Claudia NIŢU, Mormont I : Les structures du site du Mormont (Eclépens et La Sarraz, canton de Vaud), Fouilles 2006-2011. Tome 2 : catalogue des fosses à dépôts, Lausanne : Cahiers d’archéologie romande 2019, 464 p. ( CAR 178, série Mormont ). (Michel E. Fuchs)

Le site du Mormont a beaucoup fait parler de lui dès sa mise au jour en 2006, tant les vestiges qui étaient dégagés, totalement inattendus à l’endroit d’une carrière de calcaire, bouleversaient nos connaissances du monde celtique dans nos régions avant l’arrivée des Romains. Les deux premiers tomes dévolus à cette découverte, qui n’a pas fini de faire parler d’elle, viennent d’être publiés et augurent déjà bien de la moisson des renseignements recueillis. Destinés à satisfaire avant tout un public averti, les deux ouvrages offrent une richesse de détails sur les structures analysées qui ne laisse rien de côté. Le premier tome est celui qui retiendra le lecteur moins spécialisé, donnant le cadre dans lequel se sont faites les différentes interventions sur le terrain et en laboratoire, fournissant les premiers résultats des analyses qui ont immédiatement été menées au fur et à mesure des trouvailles. Les chapitres introductifs retiendront l’attention en regard de l’histoire de la recherche : à la question soulevée par l’exploitation en cours d’une carrière par un cimentier face à l’intervention des archéologues répond la mise en place concertée de diagnostics, de prospections, de sondages puis de fouilles de 1998 à 2016. Les deux tomes de Mormont I s’arrêtent aux interventions de 2006 à 2011, des débuts chaotiques d’une fouille exceptionnelle aux yeux des spécialistes de la période de La Tène finale (env. 150 à 30 av. J.-C.) à l’application d’une méthode permettant de récolter un maximum d’informations en un minimum de temps. Pour mieux comprendre ce cheminement, un chapitre est heureusement consacré par Gilbert Kaenel à un bilan des découvertes archéologiques de la région du Mormont depuis deux siècles, que complète une étude sur l’étymologie du mot « Mormont » par Gilbert Coutaz. La description des vestiges occupe un chapitre important dû à Caroline Brunetti, l’actuelle archéologue cantonale du Valais, qui a soutenu une thèse sur Yverdon et Sermuz à la fin de l’Âge du Fer justement (voir RHV, 117, 2009, pp. 275-277) et qui a longtemps travaillé avec l’entreprise Archéodunum, chargée de la fouille du Mormont. Les découvertes sont présentées chronologiquement, du Néolithique à l’époque romaine et même plus tardive, faisant intervenir des spécialistes en fonction des périodes et du mobilier que les caractérise. Représentés par de nombreuses fosses et des trous de poteaux, les vestiges ne laissent guère place à d’autres structures sinon à des foyers, à une paroi en torchis du Premier Âge du Fer, à une route romaine et à des fours à chaux. Des synthèses viennent régulièrement clore les chapitres et mettent utilement l’accent sur les faits essentiels avant d’aborder une nouvelle description. Celle qui retient l’attention est tout particulièrement attachée aux fosses de diverses natures, dont celles appelées à dépôts, près de 200 trouvées entre 2006 et 2011, réparties en quatre zones. Celles-ci sont scrupuleusement décrites dans le tome 2, qui en offre le catalogue avec, pour chacune, plan, coupe, matériel rencontré par couches, fiche technique complétée par des observations sur la fosse elle-même, sur le mobilier et par une description de coupe, le tout agrémenté ponctuellement de photos de fouille. Le tome 1 renferme encore un important chapitre sur le contexte géologique du Mormont en général puis celui des zones fouillées. Des analyses carpologiques ont aussi été menées et ont révélé pour la première fois pour cette période la présence de la coriandre et de figues. Des analyses palynologiques ont complété la connaissance de la région ; l’analyse d’échantillons de bois, de charbons de bois et d’écorce a permis de déterminer douze espèces dont le chêne, le noisetier le peuplier et le sapin blanc, un couvert très proche de celui d’aujourd’hui. La dendrochronologie a établi une date précieuse d’abattage des bois utilisés, à l’an 110 av. J.-C., plus ou moins dix ans. Tous ces éléments sont pris en compte dans la vision de l’évolution du paysage au sommet de la colline du Mormont. Dans une troisième partie du tome 1, les fosses à dépôts sont détaillées dans leur répartition, leur forme (majoritairement circulaire), la profondeur qu’elles atteignent, jusqu’à 5,60 m pour l’une d’entre elles, les types qu’elles épousent et les dépôts qu’elles conservent, du mobilier aux restes animaux. Le remplissage des fosses a finalement droit à l’analyse attentive de ses couches. Les résultats de la fouille du Mormont sont denses et complexes ; les six tomes prévus ne seront pas de trop pour renforcer les conclusions tout juste esquissées ici. Ce sera la manière auguste d’honorer Gilbert Kaenel que de suivre la parution des ouvrages consacrés à ce site phare de la période dont il était l’un des grands spécialistes, lui qui a été relecteur de Mormont I, dont l’ombre érudite planera sur Mormont II et l’étude des animaux, Mormont III et la présentation des ossements humains, Mormont IV et l’étude de la céramique, Mormont V et l’analyse du reste du mobilier, pour aboutir aux synthèses et conclusions de Mormont VI. Alors peut-être le mystère du Mont Maure aura-t-il été élucidé.

Michel E. Fuchs