CR22 Andrea PILOTTI et Oscar MAZZOLENI, Le système de milice et la professionnalisation politique en Suisse

Andrea PILOTTI et Oscar MAZZOLENI (dir.), Le système de milice et la professionnalisation politique en Suisse, Neuchâtel : Alphil, 2019. (Blaise Fontanellaz) 

Le système politique suisse, comme l’armée, se caractérise notamment par le principe de milice citoyenne. Un ouvrage de grande qualité, dirigé par les politologues Andrea Pilotti et Oscar Mazzoleni de l’Université de Lausanne, dresse un bilan complet de la milice dans notre pays.

Issu d’un projet du Fond national suisse de la recherche intitulé « Urban Transformations and Local Political Elites. A Comparative Study among four Swiss Cities », cet opus, mobilisant 11 chercheurs, traite ainsi de la professionnalisation des élites suisses ainsi que des débats s’y référant en faisant appel à l’histoire politique, la sociologie ou encore la science politique.

Mais qu’est-ce cette milice faisant partie de l’inconscient politique des Suisses ? On peut la définir ainsi :  « la milice politique se réfère surtout au mode d’exercice des fonctions politiques électives (…) Elle se réfère à un exercice volontaire, n’étant pas légalement obligatoire, mais constituant plutôt une contrainte morale envers la communauté »(p.7), les auteurs ajoutant que la rémunération doit être annexe et la fonction à temps partiel pour une durée déterminée.  La professionnalisation, au contraire, mettrait en avant la rémunération : « On peut parler d’un mandat politique professionnel lorsque ce dernier offre un salaire suffisant pour en vivre ou lorsque le temps nécessaire pour le réaliser ne permet pas d’exercer d’autres fonctions ou professions » (p.11).

 A la lecture de ce livre, on constate que le Conseil fédéral, les Conseils d’Etats et les exécutifs des villes sont professionnalisés tandis que l’idéal de la milice se retrouve dans les législatifs des villes et des cantons, mais de manière incomplète. Cette professionnalisation continue de la milice a fait l’objet d’attaques de la droite conservatrice (UDC) et de l’extrême gauche (Parti du Travail notamment) alors qu’elle est en général soutenue par le centre-gauche (PS et Verts) tandis que le centre-droite occupe une place intermédiaire (PLR-PDC). Par ailleurs, le peuple a toujours refusé une augmentation de la rémunération des élus comme en 2018 pour l’exécutif de Bellinzone (p. 231).

Le premier chapitre précise d’abord le niveau des rémunérations des élus en Suisse. Le suivant s’intéresse à l’Assemblée fédérale et démontre que ce n’est qu’à partir du scandale des mirages (1964) que la professionnalisation des élus est envisagée tandis que dans un contexte de scandale (Affaire Kopp et Affaire des fiches) un projet en ce sens est refusé par le peuple suisse en septembre 1992. Cela n’a pas empêché une forme de professionnalisation parlementaire qui, tout en restant limitée en comparaison internationale, se poursuit progressivement. Dans les cantons par contre, une enquête par sondages, révèle que les parlements restent majoritairement des parlements de milice. Un chapitre d’histoire politique couvrant plus d’un siècle, retrace à l’aide de nombreuses archives, les débats sur la professionnalisation des exécutifs communaux au sein des législatifs de Zurich et Lausanne. Une autre étude, constate l’affaiblissement de la figure du notable à droite et de celle de l’employé à gauche, cette dernière a fait place à celle de l’universitaire (p.211).

Ce tableau, très complet de la milice politique suisse, comblant une importante lacune historiographique, sera utile aux historiens par la place, peu fréquente en science politique, laissée à la démarche historique. Peut-être que l’ouvrage aurait bénéficié d’une contribution faisant appel à l’histoire de la pensée politique. Elle aurait permis de reconstituer cette tradition républicaine suisse mentionnée à plusieurs reprises. Un exercice qui est toutefois toujours périlleux en Suisse en l’absence de penseurs canoniques. Que retenir de ces débats sur la milice et la professionnalisation à l’heure où les populismes occidentaux attaquent les élites ? Concluons avec les propos sages du politologue André Mach : « Il s’agit de manière plus générale de retrouver un équilibre entre professionnalisation politique et service à la collectivité, qui pouvait paraître naturel et aller de soi dans un contexte marqué par le principe de milice, mais qui est de plus en plus contesté dans la période récente » (p.248).

Blaise Fontanellaz