CR17 Antonin SCHERRER, 1919 Paderewski président : une vie d’engagement patriotique en faveur de la Pologne entre Morges et les Etats-Unis

Antonin SCHERRER, 1919 Paderewski président : une vie d’engagement patriotique en faveur de la Pologne entre Morges et les Etats-Unis, Lausanne : Favre, 2019, 334 p. (Claude Bonard)

L’ouvrage publié par Antonin Scherrer aux éditions Favre est intéressant à plus d’un titre et se signale par son originalité. Il combine avec talent deux caractéristiques, celle d’être à la fois un catalogue d’exposition tout en étant une biographie très riche consacrée à la grande figure de l’histoire culturelle et politique de la Pologne que fut le pianiste Ignace Paderewski (1860-1941). Ce volume à l’iconographie soignée et souvent inédite a été publié à l’occasion de l’exposition « 1919 – Paderewski Président » mise sur pied par la Fondation Paderewski au Château de Morges. L’ouvrage reprend les contenus des panneaux et les enrichit de textes. Vera Michalski-Hoffmann, présidente de la Fondation Paderewski à Morges en signe l’avant-propos et le prof. André Liebich en a rédigé la préface. Ce livre de 334 pages permet au lecteur de faire plus ample connaissance avec Ignace Paderewski par le biais d’une approche thématique et chronologique.  L’auteur se réfère à plusieurs reprises à la biographie de Paderewski par Werner Fuchss aux Editions Cabédita publiée en 1999. Antonin Scherrer consacre de belles pages à l’activité dont la propriété de Paderewski à Riond-Bosson à Morges fut le théâtre. Un lieu de rencontre qui permit à de nombreux artistes d’ici et d’ailleurs, dont de nombreux exilés polonais de se retrouver, de pratiquer la musique et d’évoquer la patrie lointaine. Un lieu aussi, qui fut aussi le siège du « Front de Morges ». En effet, après le coup de force du maréchal Jozef Pilsudski en 1926 l’opposition polonaise fut très active depuis la Suisse. La résidence de Paderewski à Morges constitua dès lors un centre de réflexion politique important. Les grandes heures de l’histoire polonaise ne sont pas oubliées. Elles sont présentées de façon chronologique avec un descriptif accompagné d’une cartographie intitulée « Mille ans d’histoire en 9 cartes ». Les chapitres suivants prennent un ton nettement plus politique puisqu’ils sont consacrés à la fondation du « Comité de Vevey » fondé par Paderewski et Henryk Sienkiewicz, l’auteur de Quo Vadis  et de romans historiques qui entretiennent la fibre patriotique des Polonais. L’action de ce comité fut couronnée de succès, son objectif étant de venir en aide aux victimes de la guerre en Pologne. C’est dans le cadre de cette activité que Paderewski entre en contact avec Giuseppe Motta, alors président de la Confédération. Le succès sera au rendez-vous puisque 174 comités locaux sont organisés de par le monde et qui arriveront à lever près de 20 millions de francs suisses. L’ouvrage évoque ensuite la figure d’Henryk Sienkiewicz décédé à Vevey en 1916. Au gré des pages, la musique reprend ses droits avec l’évocation des Fêtes musicales de Vevey de 1913 à l’initiative du compositeur Gustave Doret avec la participation de Paderewski et de Camille Saint-Saëns.  De belles pages sont aussi consacrées à la profonde amitié liant Doret et Paderewski. Si le nom de Paderewski est associé à la Suisse, il l’est aussi avec les Etats-Unis où réside une nombreuse communauté polonaise. Le 22 mai 1915, Paderewski lance depuis New York un appel aux Polonais d’Amérique afin de venir en aide à la cause nationale. Une opération de sensibilisation qui va monter en puissance. Le Président Woodrow Wilson évoque la nécessité de réinstaurer une Pologne libre et indépendante. A cet égard, l’ouvrage/catalogue d’Antonin Scherrer met en lumière d’intéressants témoignages et fait découvrir au lecteur une iconographie peu connue. Les manoeuvres politiques intenses qui caractérisent cette époque cruciale pour la renaissance de la Pologne mettent en lumière tour à tour l’activité diplomatique de Paderewski aux Etats-Unis et celles du Comité national polonais de Paris puis du « Komitet Narodowy Polski » de Lausanne en 1917 dont l’homme fort Roman Dmowski deviendra l’interlocuteur privilégié des Alliés. Une figure controversée, réhabilitée depuis quelques années par la Pologne officielle. Le lecteur se familiarise aussi avec   l’histoire de l’« Armée bleue » créée en France en 1917 commandée par le général Józef Haller, officier formé au sein de l’armée impériale austro-hongroise  qui commanda dès 1914  l’une des légions de Pilsudski. Une « Armée bleue » dont le nom se rapporte à la couleur des tenues françaises de drap bleu-horizon dont elle était équipée. Des pages très vivantes illustrent aussi l’engagement de Paderewski sur tous les fonts au cours de cette période et des années suivantes, au cours desquelles la musique sert la cause de la politique et où le pianiste virtuose se mue en ambassadeur de la cause polonaise. Un engagement qui requiert non seulement l’énergie du Maître, mais celle de son épouse Hélène Paderewska qui fonde à New York la Croix blanche polonaise au début de l’année 1918, (l’utilisation de la Croix rouge ne pouvant être admise vu que la Pologne n’était alors pas reconnue en tant qu’Etat souverain). L’auteur revient aussi sur les liens étroits qui unissaient Paderewski au Président américain Woodrow Wilson. Dans la foulée, le lecteur trouvera d’intéressants témoignages s’agissant de l’activité du Polish Victim’s Relief Fund.  Les figures de l’auteure Helen Keller et du colonel Edward Mandell House, homme de confiance du Président Wilson sont évoquées au passage. Les prochains chapitres couvrent les années 1919 et suivantes qui voient Paderewski propulsé aux plus hautes charges d’une Pologne indépendante. L’auteur évoque tour à tour son retour à Varsovie, ses contacts avec les Alliés à Paris, sa désignation à la charge de Premier ministre et ministre des Affaires étrangères et son rôle déterminant suite à l’insurrection polonaise de décembre 1918 à Poznan. Une période qui se caractérise aussi pour Paderewski par des relations courtoises, mais parfois difficiles avec le maréchal Pilsudski rentré à Varsovie en novembre 1918. Pilsudski est accueilli en héros et devient alors chef d’Etat provisoire alors que Paderewski est le Délégué plénipotentiaire de la Pologne à la Conférence de Paris et le signataire des Traités de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye. Une situation délicate fort bien décrite par l’auteur et qui culmine au moment de l’éclatement de la guerre polono-bolchévique qui va durer deux ans et qui voit l’armée polonaise prendre l’offensive pour mieux faire barrage à l’ennemi communiste à l’est des frontières polonaises. Un conflit qui va aussi envenimer les relations entre la Pologne et la Lituanie. Enfin les derniers chapitres couvrent la période allant de 1920 à la mort de Paderewski en 1941. Les problèmes auxquels le nouveau gouvernement est confronté sont nombreux car la Pologne de 1920 est constituée d’une mosaïque de minorités nationales. Paderewski représente à nouveau son pays lors de la première séance de la Société des Nations à Genève, peu après avoir quitté ses fonctions à Varsovie. Il retrouve alors Riond-Bosson suite aux désaccords croissants qui l’opposent au gouvernement polonais. Pour le pianiste et homme d’Etat, cette période est aussi celle du « temps des hommages ». Il y a ceux des musiciens de France en 1928 à Paris, suivis  de l’élévation de Paderewski à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur le 3 mai 1929. La Suisse n’est pas en reste puisque après Morges et Vevey en 1925, le 10 mai 1933, Paderewski se voir décerner la bourgeoisie d’honneur de la Ville de Lausanne. L’omniprésente figure d’Hélène Rosen-Gorska-Paderewska est évoquée avec de superbes photographies et un texte très prenant signé René Morax. Antonina Wilkonska, la soeur toujours attentive qui accompagnera Paderewski aux Etats-Unis en 1940 n’est pas oubliée. Evoquant les nuages qui s’amoncellent sur l’Europe, il déclare à Guy de Pourtalès à l’occasion d’un entretien publié dans le Figaro puis repris dans la Suisse libérale du 7 août 1934 : « Je n’irai pas faire chez les Nazis de la politique au piano ». Tout est dit. L’auteur illustre une fois encore l’inlassable dévouement de Paderewski lorsque la Pologne succombe une nouvelle fois en 1939. C’est avec une ardeur renouvelée qu’il alerte la communauté internationale et soutient la création du Comité Pro Polonia créé à Fribourg afin de venir en aide à la population civile en Pologne occupée. Dans la foulée, il accepte la présidence du Conseil national polonais en exil, charge qu’il occupera jusqu’à son décès en 1941. Le 19 juin 1940, le 45e Corps d’Armée français du général Daille auquel est rattachée la 2ème division polonaise de chasseurs à pied du général Bronislaw Prugar-Ketling demande à se faire interner en Suisse après avoir résisté à la Wehrmacht au cours de violents combats à proximité de la frontière suisse. Plus de 13’000 soldats polonais sont internés. Plusieurs documents illustrent cet épisode dont l’échange de lettres entre le général Henri Guisan et Paderewski. Une démarche qui constitue sa dernière action politique en Suisse avant son départ pour l’Amérique. Paderewski débarque à New York le 5 novembre 1940 et crée le Paderewski Fund for Polish Relief. Quelques mois plus tard, le 29 juin 1941, cette personnalité hors du commun décède d’une pneumonie. Ses funérailles officielles et son inhumation ont lieu au cimetière national d’Arlington. Le livre se termine par une évocation des disciples du Maître et par une présentation du Musée Paderewski à Morges. Le lecteur trouve aussi un résumé bienvenu des textes principaux illustrant les panneaux de l’exposition. La version anglaise est signée Isabelle Watson et la version polonaise Anna Michalska. Solidement documenté et plaisant à lire, Paderewski Président constitue une oeuvre de référence tant pour celles et ceux qui s’intéressent à la Pologne, son histoire politique et sa culture que pour les passionnés d’histoire de la musique. Ce beau livre permet aussi de rappeler que la Suisse et la Pologne partagent une riche histoire commune.

Claude Bonard